pour les
récits de voyage pour présenter cet ailleurs comme lieu d’évangélisation et de
dépassement de soi. Lepage (1996) note que la lecture, l’édification morale et la
formation religieuse sont indissociables, jusqu’à la Révolution tranquille. Adopté par
l’Église canadienne-française, au début du XX
e siècle, alors que la propagande
nationaliste et la religion font bon ménage, les romans incarnent le mot d’ordre de Pie
X : «
Instaurare omnia in Christo » (Éphésiens, 1, 100, c’est-à-dire « ramener toutes
choses, réunir l’univers entier, sous un seul chef, le Christ » (Hébert et Garand, 1999,
p. 245).
C’est dans ces lieux d’évangélisation que se situe la collection hagiographique des
frères de l’Instruction chrétienne (FIC) « Au service des jeunes » qui offre des titres
parus en 1941, comme Le Solitaire d’Alaska, du frère Constantin-Marie, Comme chez les
Pères du désert, du frère Longin et Missionnaire au Canada du frère Raoul-Joseph
(Pouliot, 2005a, p. 54).
Dans ce contexte, le héros adjuvant, un homme religieux, vise plus la conquête
religieuse que personnelle. Dans cet esprit, Fides lance, en 1950, la collection « Rêve et
vie ». La même année, les pauliniens offrent, pour leur part, la collection « Romans
missionnaires », romans signés majoritairement par Celestore Testore, un jésuite italien,
dans lequel les personnages parcourent le monde en vue de convertir les peuples païens
aux vertus du catholicisme. Ces récits reflètent l’idéal évangélique de la Société
Saint-Paul de l’époque.
2.3. L’époque moderne
Contrairement aux précédentes, cette dernière période est préoccupée par l’Autre et
cherche à comprendre les multiples expériences de vie à partager. Bien que toujours
didactiques, les visées désormais poursuivies sont moins nationalistes que par le passé.
« Préoccupé par le passé, le sujet énonciateur croît à côtoyer cet allié dans un espace
élargi à l’échelle de la planète » (Pouliot, 2005b, p. 245) de telle sorte que le récit de
voyage devient un récit initiatique. Le roman plonge les protagonistes au cœur de
profondes contradictions qu’ils auront à surmonter. Dans son projet, le récit de voyage se
définit par son ouverture et les défis personnels qu’il cherche à relever. À cet égard, il
s’oppose au roman spéculaire, maintes fois décrié par la critique contemporaine d’après
guerre.
Les deux romans retenus pour notre propos s’inscrivent dans ce sillon. Bibitsa ou
l’étrange voyage du chien de Clara Vic, également considéré comme un roman de la
mémoire (Lepage, 2005), raconte les vacances estivales vécues en terre turque de Clara
Vic, adolescente de 14 ans, qui visite avec ses parents Aïvali, (Ayvalik pour les
Turcs), l’île où Antigone, surnommée Bibitsa, la tante du père de son grand ami,
Bibelas1
Prud’homme (2003) rappelle que « Bibelas lui-même existe réellement, tel qu’en témoignent les
remerciements apparaissant au début de Bibitsa ou l’étrange voyage de Clara Vic : « Je remercie
tout particulièrement Nassos Bibelas et Michèle Dupuy qui ont su me raconter l’histoire de
Bibitsa. » (p. 227, note 19) », a vécu, avant d’en être chassée, à quatorze ans, par
la révolution de 1922, soit lors de l’arrivée au pouvoir du nationaliste turc Mustapha
Kémal.
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Avant sa mort, Bibitsa a raconté à son neveu beaucoup d’histoires dont celle du
trésor que son père avait caché dans la deuxième marche de l’escalier : de