Toupie adore se déguiser
Il peut voler comme une sorcière.
… ou ramper comme un gros serpent.
Il sait jouer à la princesse.
… ou bien se transformer en monstre.
Toupie peut même se déguiser en gentil petit Binou.
Mais ce qu’il aime par-dessus tout…
C’est d’être tout nu.
(Jolin, C10, n. p.)
Le propos-prétexte de l’album, c’est la phase du désir de retour à la nudité originelle
chez le bambin. La réalisation du désir, cependant, montre toutes les possibilités des
Chatouille : 1) le passage d’un genre sexué à l’autre puisqu’à deux reprises le pronom il
masculinisant Toupie s’accompagne de la personnification d’un archétype féminin propre
à l’univers des contes enfantins, la sorcière et le princesse (on relèvera l’oxymore
des stéréotypes) ; 2) le passage aux extrêmes dans la dimension des animaux
imités, le gros serpent, le monstre vs le « gentil petit Binou » (on observera
l’oxymore des créatures mimées) ; 3) le renversement de la hiérarchie entre les
comparses, car Toupie devient un gentil Binou et se dénude comme son chaton
d’accompagnement. Remarquons, entre-temps, le pied de nez de Dominique Jolin aux
lecteurs parentaux : si Binou ne se déguise jamais au cours du récit et se contente
d’approuver par son sourire ou son rire les exploits mimétiques de Toupie,
il porte dans la dernière illustration l’accessoire nez-moustache de Groucho
Marx!
Dans Toupie raconte une histoire, on se trouve, toujours par mimétisme, au seuil de la
découverte du plaisir du texte et de l’appropriation de la culture par les deux héros. Pas
d’allusion explicite, car on ne sait pas quelle histoire Toupie lit. Tout au plus devine-t-on
un conte de fées car la narration se limite à la notation « Toupie raconte une histoire.
Une histoire de monstre! Binou a peur ». Et dans le reste du récit, car les Chatouille ont
tous une diégèse complète, Toupie et Binou se livrent à un jeu où le monstre, la
chaussette de héros éponyme, devient le centre d’attention. Notons encore une fois le
renversement des rôles puisque après la chute du rat-souris, Binou s’empare du
costume et devient le monstre. On parvient à maîtriser ses peurs, à distinguer le
réel de l’imaginaire et la conclusion « Toupie aime bien les histoires » (Jolin,
C8, n. p.) confirme l’accession euphorisante au monde de l’imaginaire. Bref,
au fil des albums, Toupie accentue sa fonction de meneur de jeu comme dans
Toupie fait la sieste. Le matelas de la sieste devient une île puis un radeau
sur la mer déchaînée, au point où la conclusion s’en retrouve décalée : la
situation finale typique de ces albums « Toupie aime bien faire la sieste » est
à la deuxième illustration alors que la dernière va laisser l’album comme en
suspens. Toupie propose une dernière péripétie « Accroche-toi, Binou, On fait la
tempête » et le matelas se transforme en glissoire animée par les pattes du gros
rat/souris dont il perd le contrôle « -Au secours! Le bateau chavire et Binou
tooombe… » (Jolin, C12, n. p.) laissant Binou plonger bouche béante de plaisir
et d’excitation devant un Toupie visiblement surpris. Ainsi, plus la collection
progresse, plus Toupie donne libre cours à son imagination des plus ludique tandis
que Binou, spectateur proactif, devient comme un garde-fou le ramenant au
réel.