Jaune et Bleu » (Jolin, B3, n. p.). Le livre incorpore la perception et
les interrogations du petit lecteur facilitant ainsi le processus d’identification,
catalyseur de l’apprentissage. Bref, même la collection la plus ciblée et la plus
spécialisée conserve ce caractère enjoué, irrévérencieux, qui prend une dimension
nettement plus festive lorsque la paire Toupie-Binou occupe le devant de la
scène.
À l’inverse des albums Binou, dont chaque titre présente le nom Binou et qui excluent
toute mention de son comparse, les volumes des séries Chatouille et Galipette, dont tous
les titres contiennent le nom de Toupie, mettent tous en vedette les deux inséparables
animaux-héros, dans une relation complexe du genre, pour parodier une formulation
célèbre, ni Toupie sans Binou, ni Binou sans Toupie. Il ne s’agit pas, en effet,
d’une allusion simplette, puisque dans l’un des albums les plus inattendus,
Toupie aime Toupie, Binou va sauver Toupie de la tentation du narcissisme et
le faire triompher de sa « phase du miroir » lacanienne. Citons le récit in
extenso :
Toupie se regarde dans le miroir. – Bonjour, moi!
Toupie se trouve très beau avec un chapeau…
… et des chaussures à grelots!
Toupie adore son gros nez. Il lui donne même des baisers.
– Mais… c’est Binou dans le miroir!
– Toi aussi, tu es joli, dit Toupie.
Toupie aime bien que Binou l’aime.
(Jolin, C13, n.p.)
En passant, le texte donne peu de substituts pronominaux aux personnages et
le il de cet album prend une valeur exemplaire, comme on le verra plus loin.
Toupie, souris ou rat peu importe ici, est donc une entité de sexe ou genre
masculin, à l’opposé de Binou dont nous cherchons encore dans le texte le
substitut pronominal. Examinons donc le rapport entre Toupie et Binou dans
ses traits distinctifs les plus marquants, soit le costume, révélateur du genre,
la taille, indicatrice de l’âge et, enfin, la nature animale, indice possible de
hiérarchie.
D’abord, le vêtement. La notation grammaticale masculinisant le personnage ne
manque pas d’intérêt en soi, car les costumes, en revanche, suggèrent souvent
l’ambivalence du genre. Par exemple, les costumes de bain de Toupie veut jouer sont, si
l’on peut dire, plus près du modèle féminin que du modèle masculin. Le costume,
s’avère, en effet, polyvalent : il faut faire une distinction entre le costume relié au
contexte, au quotidien de chaque album (par exemple, l’imperméable dans Un ami pour
Toupie, le pyjama dans Toupie fait la sieste, ou le chandail dans La Promenade de
Toupie) et les costumes choisis ou créés dont s’affublent les héros au cours de leurs
jeux (où Toupie favorise volontiers le théâtral et le carnavalesque), les deux
tendances se rejoignant dans Joyeux Noël, Toupie! dont les couvre-chef tiennent
autant de la tuque que du chapeau à grelots des bouffons du Moyen-Âge. À
cette polyvalence s’ajoute un autre rapport complexe, celui de la nudité. Si
Binou est invariablement dépourvu de vêtements, donc nu, à l’exception de
contextes précis (le costume de bain de Toupie veut jouer, le chandail de La
Promenade de Toupie et la combinaison d’hiver dans Joyeux Noël, Toupie), Toupie,
quant à lui, se définit par l’habillement : il est toujours vêtu, ou complètement,
ou partiellement, soit le haut, soit le bas, le demi-costume étant perçu non
comme demi-nudité mais