Quatre éléments de ce commentaire retiendront notre attention : la générosité des
illustrations et leur humour, l’identification et le comportement des personnages-animaux, le
genre sexué (
gender) et les métamorphoses vestimentaires des deux comparses,
puis, finalement, la nature, l’évolution et les connotations hiérarchiques de leur
relation.
Or, on l’aura remarqué à la lumière de notre bibliographie, la sériation ne se
spécialise qu’avec la mise en veilleuse de la collection Chatouille en l’an 2000, tout
comme dans les titres cette spécialisation implique une rupture partielle du « couple »
Toupie-Binou. La joyeuse et ludique paire ne poursuivra ensemble ses aventures que dans
la collection Galipette, qui constitue comme une transition entre le format bébé-livre et
l’album ; quant au petit Binou, séparé de son acolyte, il est maintenant destiné au plus
jeune lectorat. Choix de l’auteure et de son éditeur ou exploration morcelée des
tendances quelquefois contradictoires de la série originelle? La question mérite un bref
examen.
En effet, nommer une collection Chatouille, c’est en soi un contre-programme
pédagogique où l’enfant colecteur sera sans doute plus « proactif » ou créateur. En
proposer une autre qui s’appelle Galipette, clin d’oeil à la turbulence de l’enfant,
s’avère un acte encourageant le zéro de conduite. On est loin, par exemple, des
bébés-livres ritalinisés de Caillou. Pourtant, le rapport de complémentarité entre les
collections respecte bien les règles du genre et du format. Les Binou s’adressent aux
enfants au premier stade de la possession de l’objet-livre, Chatouille aux enfants
âgés d’un an et plus, et Galipette à ceux qui pourront sous peu obtenir des
albums sans l’encadrement des parents ou sans penser les détruire. De plus,
chacune de ces séries s’articule selon une progression semblable aux Caillou et à
toutes les autres collections disponibles sur le marché (Pouliot et Lacroix, 2001,
p. 29–32). Les Binou offrent un inventaire et une première connaissance du
monde grâce au rapport entre le mot et la chose (Binou en couleurs, Binou et
les sons, etc.) pour ensuite aborder les premières émotions et les expériences
fondatrices de la vie (Comment ca va, Binou?, Brave Binou, etc.). Les Chatouille
traitent d’abord d’une expérience-clé de l’évolution de l’enfant (Toupie a peur, Le
Bobo de Toupie, Toupie dit Bonne nuit, etc.) pour explorer par la suite les jeux
autonomes des petits enfants et leur appropriation du champ culturel (Toupie
raconte une histoire, Toupie se déguise, Toupie fait la sieste), bref on passe
du stade apprentissage passif par le contact direct avec la réalité à celui de
l’apprentissage proactif grâce à l’imagination. Quant aux Galipette, on le verra en
conclusion, c’est l’arrivée dans une autre univers culturel, embryonnaire dans les
Chatouille.
3. Toupie et Binou recréateurs du monde
Pourtant, chaque album, même le plus élémentaire, dépasse ou parodie les enjeux et les
normes du genre. Par exemple, le premier volume de la série Binou, Coucou, Binou! se
joue déjà des poncifs du genre. Chaque dessin, avec l’apport de nouveaux mots décrivant
une partie du corps , donne un trait ou un membre supplémentaire au personnage,
comme si l’apprentissage du vocabulaire créait le chat Binou qui se compose sous nos
yeux et comme si le livre se faisait concurremment au processus d’apprentissage : 1-
« D’abord la tête et les oreilles… » ; en regard : un ovale blanc