Le petit géant, héros sériel, n’évolue guère. Seul les lieux et les circonstances
changent. Ses jeux d’imagination du jour se transforment en rêves ou en cauchemars la
nuit, et il aboutit inévitablement dans le lit de ses parents. C’est un héros bridé par
l’état d’enfance, tiraillé entre l’envie de grandir et celle de rester dans la chaleur du
foyer, symbolisé par le lit parental. Dans ses jeux, dans ses rêves, il monte au ciel,
parcourt la planète, mais, un peu somnambule, il finit toujours par se retrouver entre ses
deux parents. Chez lui, vouloir, pouvoir et savoir sont en conflit. Le héros de
Rouge
timide parvient à vaincre sa timidité grâce à la compagnie d’un animal encore plus
timide que lui. Avec son poisson rouge, il acquiert des savoir-faire : se déplacer à
l’extérieur, acquérir des amis, aller au cinéma. Dans ce roman, l’acquisition du
savoir-dire est le principal marqueur de l’évolution : les mots qui restaient pris dans
sa gorge se placent en ordre et glissent dans sa bouche. Cette victoire élargit
son univers, il rêve de parcourir le monde. L’enfant qui avait un héros dans la
classe – celui qui n’avait pas peur de répondre aux questions de l’enseignante
–, devient implicitement le héros du groupe, puisque dans l’excipit tous les
élèves veulent venir chez lui avec leurs animaux. L’estime de soi monte donc
graduellement chez l’enfant dès qu’il possède l’animal médiateur. Des idées
« géniales » lui viennent l’une après l’autre.
Le petit musicien reprend un
peu le même parcours. Le héros a la tête pleine, non pas de mots, mais de
notes qui ne peuvent sortir. Aucun instrument ne convient à ses petits bras et,
de surcroît, il est si timide qu’il ne peut jouer que dans une armoire. Grâce
à l’aide d’un vieux violoniste, il vainc partiellement ses handicaps. Recevant
leçons et instrument à sa taille, il parvient à faire sortir les notes de sa tête. Il
donne des concerts, mais ne quitte toujours son armoire à cette étape de son
développement.
Le héros des Yeux noirs est aveugle de naissance. Il fait son portrait physique d’après
la description de sa mère. Dans ce cas-ci, le récit montre plus le handicap vaincu dans
les gestes de la vie quotidienne que le combat livré pour parvenir à cette victoire. Dès le
début, le narrateur explique qu’il a remplacé ses deux yeux qui ne fonctionnent pas par
trente-trois autres. Le jeune protagoniste n’est nullement handicapé sur le plan des
savoirs : il sait se diriger, se rendre à l’école tout seul ; il est habile sur le plan verbal,
inventant des mots pour les couleurs qu’il imagine ; il sait jouir des sons et
des parfums, et du parfum des voix (Tibo, 1999e, p. 25). À la fin du récit, ses
parents l’emmènent à la campagne choisir un jeune chiot. Le récit se clôt sur une
appréciation positive du petit garçon de la ferme : « D’après moi, ce n’est
pas un aveugle pour vrai… il a choisi le plus beau » (p. 45). Les savoirs du
héros sont ainsi validés par un personnage extérieur qui assume la fonction de
témoin.
b) Handicaps extérieurs
Dans Le petit maudit, le narrateur est solitaire. Il ne croit pas à l’amour des autres :
père, mère, gardienne ou professeur. Alors, il se venge sur son entourage, détruisant
tout. Son savoir se réduit à faire du mal et à démolir. Son vouloir est précis : devenir le
plus extraordinaire brigand de la planète. Un autre enfant, Guillaume, admire son
habileté et lui témoigne un intérêt dont il n’a jamais été l’objet. Le narrateur lui
transmet alors tout son savoir-faire : les mauvais coups. En échange, l’ami lui
transmet le sien : faire les devoirs. Mais Guillaume « manque de talent »
(Tibo,