la petite
fille se fait apprécier des enfants de l’école grâce à son drôle de père ; tout le
monde veut venir jouer à la maison avec lui ! Quant au père, second héros du
livre, nous avons accès à sa subjectivité par ses nombreuses prises de paroles,
que l’enfant rapporte au style direct. Il se plaint sans cesse d’avoir été bridé
dans ses apprentissages. Qu’arrivera-t-il quand il aura enfin rattrapé le temps
perdu? La fin de l’histoire, en consacrant le père dans sa fonction de compagnon de
jeux, n’offre pas de clé. Les savoirs semblent se partager : Choupette possède
savoir-faire, savoir-dire, savoir-vivre et le père se réserve le savoir-jouir des
plaisirs de l’enfance – le plus important d’un point de vue juvénile? – : faire des
saletés, des bêtises, ne rien ranger. Il empêche ainsi Choupette d’acquérir ce
savoir. Le vouloir de Choupette (arriver à l’heure le jour de la rentrée, être une
enfant normale) est contrarié par le non-pouvoir du père de jouer son rôle
d’adulte.
Dans les trois autres titres, Choupette, moins engagée affectivement, a une attitude
protectrice vis-à-vis des trois adultes. Elle a beaucoup d’idées géniales, de l’à-propos et
toujours une solution à suggérer aux adultes désemparés. Pour la petite fille, savoirs,
vouloirs et pouvoirs coïncident quand Choupette règle les problèmes d’Oncle Robert et
de Tante Loulou. Mais avec sa mère, vouloir et pouvoir sont en conflit, car maman Lili,
lectrice obsessionnelle, ne lui accorde pas assez d’attention. Il est intéressant de noter
que la mère ne peut avoir de relation avec sa fille que par la médiation de l’écrit, en
lisant un livre d’éducation, en lisant le message où Choupette lui expose le problème ou
en commençant à écrire pour la jeunesse. Dans la série Choupette, chacun des
personnages adultes se présente comme subjectivité, en confiant ses problèmes et
désarrois à l’enfant. Comme tous les titres le laissent entendre, le héros est
double.
Noémie, la première héroïne romanesque de Tibo, partage beaucoup de traits avec
Choupette. Voici comment elle livre ses atouts et handicaps au début de la
série :
Dans la vie, je parle très très vite, mais ce n’est pas de ma faute. Ma tête
est remplie de mots qui tournent et se bousculent quand vient le temps de
faire des phrases. Je connais plein de mots savants et même de tout petits
mots qu’il ne faut pas dire. En plus, je sais plein de choses que je ne devrais
pas encore savoir… et qu’il ne faut pas répéter. (Tibo, 1996a, p. 11–12)
À part ses cheveux frisés et son nom de famille trop laid qu’elle ne veut pas révéler,
Noémie a une bonne opinion d’elle-même. Elle possède tous les savoirs : faire, dire,
jouir, vivre. De l’avis maternel, elle est plus vieille que son âge. Livrant toutes ses
émotions au lecteur, elle lui fait part aussi de ses bonnes idées incessantes. Sa principale
interlocutrice est une vieille gardienne qu’elle aime profondément, et dont on
apprendra bientôt qu’elle est sa grand-mère. Une formule pourrait définir Noémie
tout au long de la suite romanesque : le contrôle de la situation. L’héroïne a
toujours idée de la façon de réagir. Son encyclopédie est la télévision, les films
qui lui fournissent tout un répertoire de situations et de conduites, en cas de
vol de banques, d’attaque d’extraterrestres ou de fin de monde. En face de
sa timide grand-mère, son vouloir et son pouvoir coïncident généralement.
Noémie arrive toujours à ses fins, même si elle doit user de diplomatie et de
patience. La série Noémie a, comme la série Choupette, son héros adulte. En
expliquant à Choupette