Conclusion
Avec l’insertion graduelle de René dans la vie de Carl, Gauthier a su offrir au héros le
dernier repère qui servira à construire sa personnalité dans la joie et l’harmonie. En
effet, cette troisième et ultime figure de père « compensé » répondra au besoin
fondamental de sécurité, ce qui ne pourra que disposer le jeune héros, et le jeune lecteur
à sa suite, à garder confiance dans la vie, malgré les tribulations qu’elle provoque
parfois.
Il y aurait eu lieu de pousser plus loin cette analyse, en examinant la relation du héros
avec les autres repères que sont ses pairs, ainsi que le rôle que jouent les deux seuls
personnages féminins significatifs dans l’évolution du héros. Cependant, étant
donné les limites imparties à cette publication, nous n’en ferons pas l’étude
ici.
Enfin, à travers cette double série des « Babouche » et des « Chausson », nous ne
pouvons qu’admirer le talent et l’audace de l’auteur qui a mis en scène pour
un si jeune public des héros aux prises avec des problèmes d’adolescents, si
ce n’est d’adultes (Gauthier, 1996, p. 77), et qui l’a fait avec, à la fois, un
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Pour un regard plus général sur tout l’œuvre de Gauthier, voir Gervais, 2003.
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et
un doigté consommés. Ainsi, dans cette double séquence, l’auteur rompt la mode
éditoriale des romans sériels destinés aux 9–12 ans en empruntant la structure des
romans pour adolescents dont « les personnages sont rarement figés dans le
temps »
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Pour une comparaison des contenus de la littérature sérielle destinée au lectorat préadolescent et
adolescent de la fin du XXe siècle, voir Demers, 1994 : p. 53.
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.
En effet, il a choisi de faire évoluer son héros sur une période d’une année en le plaçant
devant des réalités difficiles comme la mort et la prison.
De plus, Gauthier est conscient, contrairement à de nombreux écrivains avant lui, de
l’importance, pour le jeune lectorat, de la profondeur psychologique des personnages.
Quelques années après la parution des ouvrages à l’étude, des recherches sur les intérêts
en lecture d’élèves de cet âge ont permis de confirmer ce postulat (Roy : 1995 ;
Gervais : 1997). Ainsi, l’auteur ne se contente pas de mettre en scène des personnages
narcissiques qui ont besoin de relever des défis comme la découverte d’une
épave ou d’autres types d’exploits pour se sentir vivre, il fait évoluer un jeune
héros, à la fois bien ancré dans sa réalité d’enfant, et aux prises avec de réels
problèmes d’adulte. Même si Gauthier a choisi la littérature miroir, il ne tend
pas n’importe quel miroir à son jeune lecteur. Il confronte son héros à des
problèmes psychologiques beaucoup plus complexes que ceux auxquels sont
conviés par exemple les héros des romans d’aventure sériels canoniques comme
ceux du « Club des Cinq » de l’Anglaise Enid Blyton. Par l’introspection, il
amènera Carl à entreprendre « l’aventure » d’un processus de croissance, de
modification et d’élargissement de sa relation avec « son » monde comme avec « le »
monde.