Ainsi, nous pouvons affirmer que ce père prolongé dans le personnage de Babouche
constitue l’axe autour duquel se construit toute la série de Gauthier. La chienne incarne
le père mort. Elle le réactualise au point qu’une symbiose se construit entre
elle et l’enfant dont elle devient l’alter ego. Cet alter ego occupe la place d’un
personnage réel avec lequel Carl poursuit un monologue intérieur en attribuant à la
chienne des sentiments humains et en interpellant parfois le narrataire pour se
conforter dans ses dires. Cependant, dans les faits, il n’y a pas jusqu’ici de
véritable dialogue, sauf les rares fois où il parlera à Nicole. Bref, ce qui fait la
force de ce personnage du père prolongé, c’est que c’est lui qui, à travers la
chienne, amènera le héros à passer d’un état infantile, marqué par l’introversion,
l’égocentrisme, à un état de crise, où s’affrontent, dans un va-et-vient étourdissant, la
lucidité et le déni du principe de réalité : le père est mort et la chienne va
mourir aussi, comme le père. Nous nous trouvons au sommet de l’œuvre. Le père
prolongé meurt lui aussi. L’enfant est abandonné une seconde fois… Sa vie va-t-elle
basculer? Voilà le nœud de l’intrigue qui tient en haleine le lecteur. Comment
Gauthier va-t-il résoudre ce drame? Une histoire pour enfant ne doit-elle pas se
terminer sur une fin heureuse (Bettelheim, 1979)? Gauthier paraît adhérer à ce
principe : il fait intervenir d’abord en filigrane, puis avec force, le nouveau
père que nous devrions nommer, par souci de cohérence formelle, le « père
renouvelé ».
Le nouveau père ou le « père renouvelé »
René se fait d’abord remarquer par son absence parce que, au début de la séquence
romanesque, il est en prison. Cette absence provoque des comportements délinquants
chez son fils Garry qui, à l’école, poursuit Carl de ses sarcasmes. Aussi le repère que
constitue ce nouveau père sera-t-il perçu par le héros de façon très ambivalente : il sera
successivement celui qui manque, celui qui dérange, celui qui inspire, celui qui satisfait
et, enfin, celui qui comble.
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