de sa
famille. De fait, elle est propriétaire d’un dépanneur qui est situé juste en face
de l’école de Laurence, sa fille aînée. Si absorbée soit-elle par ses besognes,
l’adulte n’adopte pas une vision dogmatique de l’éducation. Elle est souple
et conciliante, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle ne détienne aucune
autorité : « Ma mère est très sévère sur les bonbons » (1997, p. 25), avoue
Laurence. La femme prend le temps de discuter avec ses trois filles afin que les
décisions soient prises d’un commun accord et que chacune d’entre elles en
cerne bien les enjeux. En effet, elle évite les sanctions, comme le souligne le
je
narrateur : « Je ne suis pas souvent punie, je n’ai pas l’habitude. » (1998, p. 68)
Contrairement à l’oncle d’Étamine qui gère toutes les sphères de sa vie selon des règles
précises et qui, au départ, a du mal à comprendre l’univers de sa nièce, la
mère de Laurence peut admettre une logique d’enfant et ne condamne pas
l’excentricité, sauf si ce trait se conjugue à la désobéissance. C’est pourquoi
elle réprimande vivement Étamine et Laurence qui ont déclenché le système
d’alarme du magasin en pleine nuit. En revanche, l’adulte permet à Étamine de
ne pas se laver les mains avant le souper lorsque cette dernière lui mentionne
qu’elle est allergique à l’eau. Quand Laurence demande à sa mère : « Tu y
crois à son allergie à l’eau? », la femme répond : « Peut-être que c’est vrai. Il
y a toutes sortes d’allergies. » (1997, p. 45) Une telle attitude qui consiste
à accorder le bénéfice du doute à l’enfant et à lui reconnaître une certaine
crédibilité ne pourrait advenir dans le giron d’une famille traditionnelle fondée
sur la hiérarchie et au sein de laquelle la Raison et la Loi du Père sont toute
puissantes.
Dans ce prolongement, il convient de s’attarder à la réaction du directeur de l’école
lorsqu’on lui apprend qu’Étamine est allergique à l’eau : « Si elle avait une allergie, ce
serait inscrit à son dossier. Je serais le premier à le savoir. » (1997, p. 80) Croyant à
l’infaillibilité des systèmes figés tels que la bureaucratie, le directeur ne peut admettre
qu’Étamine y échappe, et qu’elle demeure inclassable selon ses critères instrumentaux.
Deux visions de l’éducation s’affrontent ici : d’une part, la mère qui admet l’existence
d’une logique autre et qui mise davantage sur la prise de conscience que sur la
répression des comportements et, d’autre part, le directeur souhaitant que tous
obéissent à des règles strictes. L’oncle d’Étamine, qui a lui aussi tendance à
gérer son existence selon des règles très précises, apprendra à assouplir son
mode de vie au contact de sa nièce. À la lumière de ces exemples, on constate
que le texte dépeint un univers féminin qui admet les contradictions de l’être
juvénile sans pour autant chercher à les faire disparaître. Tandis qu’un discours
d’autorité exprimé par une voix masculine s’ingénie à abolir les contrastes, la voix
maternelle octroie à l’enfant les qualités d’un sujet pensant mais ne lui accorde pas
toutes les libertés. Si le personnage de la mère pourvoyeuse s’inscrit dans les
menées d’un féminisme égalitaire, il n’en demeure pas moins que le discours
de cette adulte, tel qu’il s’articule dans la trilogie, comporte une résonance
hypermoderne.
3 La solidarité dans la différence
3.1 La petite fille hypermoderne ou la rencontre du corps et de l’esprit
Dans la foulée des thèses de Simone de Beauvoir (1949), le féminisme radical dénonce le
concept d’éternel féminin et la notion de féminité édifiée par le patriarcat. Or,