la série de Legault propose une lecture corrigée de ce discours féministe, si
l’on s’attarde au personnage de Rosalinde, une fillette qui fréquente la même
école que Laurence. Dans le contexte d’énonciation, ce prénom peut être lu
comme une agglutination du prénom « Rosaline » (ou « Rosalie ») et du nom
commun « dinde » au moyen duquel on désigne parfois les femmes dépourvues
d’intelligence. Au début de la série, Rosalinde est présentée comme une fillette
qui mise beaucoup sur son apparence : c’est « notre reine des élégances »
(1997, p. 16), précise Laurence au moment où Étamine, à l’allure négligée,
fait une entrée remarquée dans sa nouvelle classe. Pour sa part, la narratrice
ne souscrit pas aux critères de l’éternel féminin : « Je sais bien que j’ai l’air
d’un bébé, que je ne porte ni bijoux ni manteau de cuir » (1999, p. 61). Si
elle n’accorde guère d’importance à son apparence, ce n’est pas parce qu’elle
est trop jeune ou qu’elle n’est pas encore corrompue, mais bien parce que ses
priorités sont ailleurs. Il en est autrement pour Roselinde. Escortée de « sa bande
d’admirateurs » (1997, p. 19), cette dernière prend toutes les précautions qui
s’imposent pour préserver son allure féminine, comme l’indiquent les énoncés
suivants, tirés des deux premiers ouvrages : « Rosalinde Dupuis-Morrissette avait
relevé le capuchon de son imperméable pour protéger sa coiffure. » (1997,
p. 53) ; « Si elle n’avait pas craint de se décoiffer, je crois qu’elle aurait sauté de
joie. » (1998, p. 43). Cette parcimonie entraîne, il va sans dire, des remarques
cinglantes : « la pimbêche de l’école qui ne connaît rien d’autre que la dernière
mode et les chanteurs de palmarès. » (1998, p. 74). Un tel comportement est
de surcroît valorisé par la mère de la gamine : « Il paraît que le soleil est
mauvais pour sa peau, sa mère l’a lu dans une revue! » (1997, p. 19). Ce passage
rend compte non seulement de la transmission du discours dominant « il faut
être belle et il faut plaire » à travers l’enseignement maternel, mais engage
également une réflexion sur le concept de féminité greffé aux revues féminines qui
conditionnent les lectrices à se définir « à travers le reflet de leurs parures et de leur
apparence » (Lavergnas-Grémy, 1986, p. 47). Orienté vers une critique du
patriarcat qui chosifie le sexe féminin, le discours de la narratrice s’inspire
sans contredit des thèses féministes traditionnelles. Cependant, si Laurence et
Étamine jugent d’abord sévèrement Roselinde, elles devront se rétracter par la
suite.
Ce changement de cap se produit lors de la scène où Étamine cherche une solution
au problème de Laurence dont la mère refuse qu’elle participe à une pièce
de théâtre. À ce moment, Rosalinde se distingue par la clairvoyance de ses
propos :
La mère de Laurence est comme la mienne : famille monoparentale. Quand
ma mère me punit, il n’y a plus rien à faire. Elle se sent obligée de
m’élever pour deux. Alors que si j’avais mes deux parents, il y en a un qui
pourrait négocier pour moi avec l’autre et ils n’auraient pas l’air de manquer
d’autorité. (1998, p. 73–74)
Étamine et Laurence sont forcées de reconnaître que cette remarque constitue une
preuve d’intelligence : « C’était tellement vrai que ça se passait de commentaires. »
(1998, p. 74) Étonnée, Étamine déclare : « Si on ne peut même plus l’appeler
Rosalinde-la-dinde […] ce sera le monde à l’envers. » (1998, p. 74) À partir de cet
épisode cessent les commentaires désobligeants à l’endroit de Rosalinde. « Le
monde à l’envers » auquel fait référence l’héroïne illustre de façon opportune
une