2004,
p. 139). C’est dans cet esprit que le directeur de l’école parle aux élèves de
cinquième année, à l’arrivée d’Étamine dans cette classe : « Vous pouvez tous
vous imaginer combien il est difficile d’arriver dans une nouvelle école. Vous
êtes la cinquième année la plus raisonnable. Traitez Étamine Léger comme
vous aimeriez être traités si vous étiez un nouveau, une nouvelle. » (1997,
p. 12). Or, la nouvelle venue exhibe des traits pour le moins singuliers : son
allure vestimentaire est d’une autre époque et elle ne semble pas accorder une
importance capitale à son hygiène personnelle, sans compter qu’elle a un œil qui
louche :
Étamine ne se lavait pas souvent, ça, c’était vrai. Ce n’est pas qu’elle puait,
mais c’est comme si elle avait une couche de poussière collante sur elle, sur
son visage, ses mains, ses vêtements. Et elle portait toujours sa jupe et son
manteau en cuirette jaune, même quand il s’est mis à faire froid, si froid que
la cuirette était toute raide. (1997, p. 69)
La narratrice souligne ces particularités à plusieurs occasions : « Étamine avait une tête
particulière, surtout lorsqu’on la voyait pour la première fois. » (1997, p. 32) ;
« c’était trop drôle ce nom, pour cette drôle de fille. » (1997, p. 12) ; « Elle était
bizarre, Étamine. Pas méchante, mais bizarre. » (1997, p. 52). Au lieu de la paralyser,
ces marques d’excentricité semblent se poser comme un facteur d’autodétermination
dans le parcours de la jeune protagoniste.
Le récit nous apprend en effet qu’Étamine Léger veut se façonner une personnalité qui
ne soit pas prédéterminée par des valeurs et des normes jugées acceptables par la
société. À ce chapitre, le titre du premier roman, Une fille pas comme les autres, est
révélateur. Le personnage éponyme met à l’épreuve ses propres valeurs pour ensuite les
retenir ou les rejeter. De fait, la fillette n’emprunte pas un parcours de vie habituel.
Comme le rapporte la narratrice, « elle ne faisait pas de frime : elle avait bien eu
vingt-quatre frères et sœurs. Des Blancs, deux Jaunes, trois Noirs, un Rouge » (1997,
p. 63), compte tenu de toutes ses familles d’accueil. Étamine détonne partout où
elle passe, si bien qu’elle cultive sans vergogne ses défauts physiques. Dès que
Laurence croise la nouvelle venue qui ne se fond pas dans l’anonymat, elle doit se
rendre à l’évidence : « Elle n’était pas ordinaire, cette fille ». (1997, p. 11) Si
Étamine peut à première vue présenter les attributs d’une fille mal modelée
selon les normes sociales en vigueur, elle n’en semble point malheureuse. La
scène où il est question de sa vue est significative. Au moment où l’on fait
allusion à son œil qui louche, elle rétorque : « Mon bon œil? Quel bon œil? Moi,
j’aime bien mes deux yeux. Le jour où mes parents voudront me retrouver, ils
auront moins de mal parce que je ne suis pas pareille aux autres enfants. J’ai
un drôle de nom et un œil qui louche. Ils me reconnaîtront tout de suite. »
(1997, p. 72) Tout se passe comme si Étamine mettait à contribution son allure
marginale afin de faire revivre ses racines et de braver l’autorité, tout à la
fois.
Selon ce raisonnement, Étamine n’hésite pas à mettre en question les valeurs de son
oncle qui l’héberge, lorsqu’il s’agit d’alimentation. La normalisation médicale envahit de
plus en plus le champ social hypermoderne, la santé devenant par la même occasion
« une préoccupation omniprésente pour un nombre croissant d’individus de tout âge. »
(Lipovetsky, 2004, p. 103–104). Les idéaux hédonistes de l’ère postmoderne « ont été
supplantés par l’idéologie de la santé et de la longévité. »