« À peine y fut-il arrivé qu’il courut à l’appartement de la sultane [infidèle].
Il la fit lier devant lui, et la livra à son grand-vizir, avec ordre de la faire
étrangler ; ce que ce ministre exécuta sans s’informer [de] quel crime elle
avait commis. Ce prince irrité n’en demeura pas là : il coupa la tête de sa
propre main à toutes les femmes de la sultane. Après ce rigoureux châtiment,
persuadé qu’il n’y avait pas une femme sage, pour prévenir les infidélités de
celles qu’il prendrait à l’avenir, il résolut d’en épouser une chaque nuit, et
de la faire étrangler le lendemain » (MN, vol. 1, p. 34).
Dans l’adaptation de Brierley (2001), seule la sultane (coupable d’adultère) est mise à
mort – ce qui n’empêche pas que « toute la cour [en fût] horrifiée » (p. 19). Le passage
sanguinaire est éludé par une élégante mise au conditionnel de la menace :
« Si jamais [c’est nous qui soulignons] je prends une autre femme, je la ferai
étrangler le lendemain du mariage, promit le roi avec douleur et chagrin »
(p. 19).
Ainsi, pour adoucir l’élément clé de l’intrigue – la mort répétée de jeunes femmes
innocentes – Brierley insiste sur la tristesse et la rage du roi, et invente de toutes pièces que
le grand-vizir décide de le distraire en lui présentant un acrobate chinois. Cet exemple
de réécriture repose sur la folklorisation d’éléments exotiques qui frappent l’imaginaire.
On retrouve une scène comparable dans le Casse-noisette d’E.T.A. Hoffmann, écrit en
18165
et repris par Tchaïkovski pour son ballet, dans laquelle Clara se fait divertir
par des acrobates « exotiques » provenant (entre autres) de Chine. Dans la
réécriture de Brierley comme chez Tchaïkovski, ce qui était au départ une réalité
historique, culturelle et sociale se voit transformé en élément fantastique, voire
irréel.
2.2.4 Traduction
Notre étude a porté sur des traductions. Celle de Grimm, publiée entre 1812 et 1815
sous le titre Kinder- und Hausmärchen (Contes de l’enfance et du foyer), a été écrite en
allemand6
Certains contes de Grimm ont été notés tels qu’entendus, c’est-à-dire dans des dialectes tels le
bas-allemand, ou encore dans divers patois régionaux.
|
;
une fois leur matériau rassemblé, les frères Grimm « ont procédé à des
comparaisons, des recoupements de manière à dégager une version qui leur
paraissait la plus « pure », signalant au passage les variantes ». (Pierre
Péju : 1989, p. 87). Quant aux contes des
MN, Galland les a traduits de
l’arabe
7
Cependant, une partie du manuscrit arabe traduit par Galland aurait elle-même été écrite
originellement en farsi (voir Galland, dans MN, 1965, p. 7).
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.
3. Place de la musique dans les contes
Pour comparer l’importance et le rôle accordés à la musique dans ces deux recueils, nous
n’en tirerons pas, à la manière de Durand (1969) ou de Carloni et de Nobili (1975), une
théorie anthropologique ou phénoménologique de l’imaginaire ; nous amorcerons plutôt
une comparaison entre les deux recueils quant à certaines caractéristiques des
instruments de musique mis en scène dans des contes aux origines géographiques et
chronologiques différentes. Ensuite, à partir d’un inventaire des