continué à être publié après 1914 et il a été lu en dépit du changement radical
de la thématique de Curwood. Il s’opère donc en traduction une déviation
de la lecture qui n’est pas typique de la traduction, mais est observable aussi
dans la lecture de l’original. Dans la lecture des traductions aussi bien que des
originaux, le plaisir que procure le texte n’est pas le seul élément qui entre en
jeu.
Dans le champ de la littérature, deux agents écrivains ont été des concurrents directs,
Jack London et J.O. Curwood. Curwood construit son œuvre en concurrence avec celle
de Jack London, en particulier avec The Call of the Wild (1903) et White Fang (1906). À
peu de choses près, ce sont les mêmes aventures de trappeurs, d’Indiens et de
chiens-loups, les mêmes thèmes de la vie sauvage et de la quête de l’or dans les mêmes
lieux, le Grand Nord (quoique Curwood se soit spécialisé dans l’évocation du Grand
Nord canadien). Curwood est le cadet de London de quelques années et c’est lui qui joue
le rôle de nouvel intrant dans l’espace littéraire américain ; c’est lui qui cherche à
s’affirmer en se distinguant de J. London et non pas l’inverse. Comment se distingue-t-il?
En s’affirmant par des thématiques qui tourneront autour du respect de la
faune du Grand Nord. Prenant tôt ses distances par rapport à Jack London, il
se libère du poids de l’œuvre du grand aîné à partir de 1914. Après cette
date, on peut dire que Curwood prend son envol : il compose l’essentiel de son
œuvre, dont seize romans et recueils seront traduits avant la Seconde Guerre
mondiale.
La concurrence entre Curwood et London se trouve exacerbée en traduction :
deux des principaux traducteurs qui travaillent en tandem, Paul Gruyer et
Louis Postif, traduisent les œuvres des deux auteurs comme s’il s’agissait d’un
seul et même écrivain. Les manières de traduire sont identiques, avec des
dissimilèmes2
Nous avons proposé (1999, p. 87) d’appeler « dissimilèmes » les marques de traduction mettant
en valeur les traits socio-esthétiques qui, dans le texte source, sont censés ne pas avoir cours dans la
société cible et qui, en général, nécessitent des xénismes ou des emprunts linguistiques fictionnels en
traduction. Par contre, les « assimilèmes » de traduction s’efforcent de masquer l’origine
étrangère du texte en adaptant les traits sémiotiques du texte source dans le texte cible.
Les « dissimilèmes » et les « assimilèmes » sont des indices connotatifs opposés qui
renseignent sur la légitimité du texte, de l’auteur et de la culture originaux dans la culture
cible.
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nombreux, dans les deux traductions, dissimilèmes qui portent sur la géographie des
lieux décrits par les auteurs. Cette manière de traduire crée un exotisme, qui fait partie
du plaisir de la lecture. Mais les marques d’étrangeté laissées dans la traduction ne sont
pas compréhensibles immédiatement. Aussi les traducteurs les expliquent-ils dans des
notes en bas de page. Prenons le cas de la note 1 où est expliquée la notion de
Wild dans
Kazan :
(1) Le Wild, ou le Wilderness, est un terme générique, intraduisible, qui,
comme le Causse, la Brousse, la Pampa, la Steppe, la Jungle, le Maquis,
désigne une région particulière et l’ensemble des éléments types qui la
constituent. Le Wild, qui occupe une grande partie du Northland américain,
s’étend jusqu’au Cercle Arctique. Ce n’est plus la terre normalement
habitable, et ce n’est point encore la région morte du Pôle. Les forêts,
alternées de prairies, sont nombreuses. Durant la plus grande partie de
l’année, l’hiver sévit et la neige recouvre uniformément la terre. Un bref
été fait croître hâtivement une végétation rapide et luxuriante. Le sol est
tantôt plat, telles