Comme il fallait s’y attendre (cela est extrêmement courant), les maisons d’édition et
les traducteurs ne tiennent pas compte de la chronologie de publication des textes
originaux. Cela importe peu en général que la chronologie ne soit pas respectée, lorsque
les romans ne sont pas organisés en trilogies ou en suites. Et de fait les romans de
Curwood ne se suivent pas vraiment ; pas vraiment, sauf, on l’a vu, dans le
cas de
The Wolf-Hunters, dont
The Gold-Hunters est une suite, et dans le
cas de
Bari, par rapport à
Kazan. Le cas est beaucoup plus grave lorsque les
romans forment une trilogie et sont traduits par des traducteurs différents,
dans le désordre et selon des choix de traduction divers. Ici, rien de tel. Mais
il y a un effet de traduction assez net tout de même ; en effet, à part
The
Danger Trail (de 1910), traduit sous le titre de
Mélissa en 1912, toutes les
traductions sont désynchronisées par rapport aux originaux. Mais, en ce qui
concerne la « conversion » de Curwood,
Mélissa n’est pas pertinent, puisque le
récit conte une aventure amoureuse et policière où la chasse ne tient aucune
place.
Après Mélissa est publié Bari en 1920, qui est en quelque sorte la suite de Kazan (en
anglais en 1914), car Bari est le fils de Kazan. Puis viennent les Cœurs les plus farouches
en 1920 (traduction d’Isobel, 1913), le Grizzly (en 1922, traduction de The Grizzly King
en 1916). Les Chasseurs de loups (en français en 1923) s’insère entre le Grizzly (1922) et
Kazan (1925).
La traduction et la publication des Chasseurs de loups font problème, compte tenu du
type d’histoires racontées par Curwood. Tout se passe comme si Curwood était un
écrivain d’imagination comme les autres, où ses thèmes n’ont pas de rapport réaliste
étroit avec ce qui se passe dans l’actualité de l’auteur dans le monde empirique, comme
si Curwood n’avait pas une thèse à faire valoir. Ce qu’il raconte dans ses romans
d’aventures, ce sont des histoires à peine romancées. Ses récits sont nettement
autobiographiques et, lorsqu’il veut écrire un roman, il prend le chemin du Grand Nord
canadien.
Pour bien faire, comme on vient de le voir, l’ordre des traductions aurait dû être les
Chasseurs de loups, Kazan, pour finir par le Grizzly, comme dans la langue originale.
Surtout que la préface à The Grizzly King, où Curwood explique sa « conversion »,
n’est pas reproduite en traduction. L’ordre de publication des traductions pose le
problème plus général de l’ordre dans lequel doit être optimalement effectuée la
lecture des œuvres d’un auteur. Lorsqu’il n’existe aucun indice dans le livre
traduit de la date de publication de l’original, le lecteur n’a pas le moyen de
rétablir l’ordre chronologique. Mais l’ordre optimal de lecture des traductions
doit-il suivre l’ordre chronologique de publication de l’œuvre originale? Dans
l’abstrait peut-être ; en fait chacun sait que cette lecture optimale est rarement
pratiquée. Et c’est attribuer au texte de l’œuvre de l’auteur une importance
exclusive.
Curwood, concurrent de London
Si l’on envisage l’œuvre d’un auteur comme l’occasion grâce à laquelle il souhaite
prendre position dans le champ de la littérature, ici de la littérature pour jeunes, alors
l’ordre de publication ne conditionne plus la lecture de la traduction de façon cruciale.
Car l’effet que nous avons décrit plus haut comme un effet de traduction est
aussi un effet qui existe dans la culture source : de fait, The Wolf-Hunters a