- 38 -Gervais, Flore; Noël-Gaudreault, Monique: Littérature de jeunesse et espaces identitaires 
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Celles-ci s’érigeant en structures binaires réductrices, elles briment l’individualité et la pluralité qui la sous-tend. Marie-Baba et les 40 rameurs abonde en représentations discursives qui rendent compte de cette abolition. Outre l’opposition masculin/féminin, la principale dichotomie qui se voit ici fragilisée est celle qui oppose le bien et le mal. Issues d’une morale manichéenne, ces catégories ont toujours fait montre d’un cloisonnement étanche, sans zones grises. Le relativisme postmoderne vient nuancer cette division. Dans l’album qui nous occupe, le relativisme touche principalement le personnage de Beurre-Noir.

À première vue, tous les éléments convoqués pour caractériser ce personnage tendent à l’inscrire dans le pôle « mal ». La première description qu’on nous donne de celui-ci le dépeint comme « le plus terrible pirate des mers du Sud » (1998, p. 1). Pour gagner sa vie, le père de Marie-Baba attaque, vole et même tue des innocents, et il le fait de la manière la plus terrible que l’on puisse rencontrer sur les mers du Sud. Le nom même de ce personnage, « Beurre-Noir », évoque la méchanceté et la violence en référant à une blessure découlant normalement d’un combat entre deux personnes (« avoir un œil au beurre noir »). De ce fait, on anticipe un personnage méchant, cruel et inspirant la terreur autour de lui. Pourtant, Beurre-Noir ne suscite aucune crainte chez le lecteur, et ce parce qu’il n’est pas exclusivement mauvais. Au contraire, l’album insiste plutôt sur les traits qui rapprochent le terrible pirate du « bien ». Ces traits se manifestent lorsqu’il est question de sa fille. À l’égard de Marie-Baba, Beurre-Noir est doux comme un ange, tendre, aimant et sensible : « J’ai tellement coulé de bateaux pendant ton absence que je n’aurai pas besoin de travailler cette année. Je vais être là tous les jours pour t’aider à faire tes devoirs. » (1998, p. 28).

Force est donc de reconnaître que Beurre-Noir est un personnage métissé, au cœur duquel se croisent à la fois le bien et le mal. Les deux pôles ne s’excluent ni ne s’annulent l’un l’autre, ils coexistent simplement au sein d’une même personne. Le récit vient relativiser les concepts du bien et du mal en mettant de l’avant une zone intermédiaire où rien n’est tranché. Les frontières entre les deux catégories sont désormais poreuses. Cette porosité fait de Beurre-Noir un personnage paradoxal : « Et la fillette s’endort pendant que son père, le plus terrible pirate des mers du Sud, sourit comme un ange. » (1998, p. 29). Le contraste qui subsiste entre son métier de pirate et son rôle de père dévoué attire l’attention sur l’un des thèmes centraux de l’album : la relation père/fille. L’amour de Beurre-Noir pour Marie-Baba est si puissant qu’il fait du pirate non pas un personnage stéréotypé et monolithique, mais bien un être complexe et unique.

À certains égards, cet ouvrage contribue à une redéfinition de l’espace identitaire féminin dans le domaine de la littérature pour la jeunesse. Au modèle de la fillette téméraire qui accomplit mille exploits se conjugue celui de la petite fille attachée à un père dont le mode de vie est plutôt marginal. Ce dernier dont la profession n’a rien d’honorable se transforme au plan social, puisqu’il cessera momentanément ses actions de piraterie. C’est donc la jeune héroïne qui assume le rôle d’un sujet susceptible de modifier le cours de l’existence d’autrui. En ce sens, le texte de l’album déconstruit les stéréotypes à deux niveaux : Marie-Baba est une petite fille audacieuse qui dirige une équipe de 40 rameurs dans le contexte d’une chasse au


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