féminisme de la différence auquel se juxtapose un féminisme global et postmoderne, tourné davantage vers le particulier. Betty Friedan (La femme mystifiée, 1964), Kate Millett (La politique du mâle, 1971), Adrienne Rich (Naître d’une femme, 1980), Carol Gilligan (Une si grande différence, 1986), Susan Faludi (Backlash, 1993), Judith Butler (Gender in Trouble, 1990), Linda Nicholson (Feminism/Postmodernism, 1990), pour ne nommer que ces dernières, posent d’importants jalons aux études nord-américaines consacrées aux femmes et à leur devenir. Les idées avancées par les Américaines depuis 1960 ont façonné, semble-t-il, l’imaginaire de nos écrivaines pour la jeunesse qui s’en prennent à la mystique de la femme (Friedan), récusent la politique du mâle (Millett), valorisent la maternité suivant un point de vue féminin (Rich), cherchent à développer une éthique féminine fondée sur la préoccupation d’autrui (Gilligan), prennent leur revanche sur le mouvement de libération (Faludi), prônent un féminisme pluriel et global par la voie postmoderne (Butler, Nicholson).

De fait, la quête féministe postmoderne exhorte les femmes à se libérer des représentations figées, construites par le patriarcat. L’idéologie patriarcale a mis sur pied une division générique dictant et définissant les comportements typiquement « féminins » et « masculins », donnant lieu à des représentations stéréotypées, essentialistes et totalisantes. Les féministes postmodernes prônent l’abolition de ces clichés afin que les femmes (comme les hommes) puissent s’autodéterminer en dehors des enclaves du genre et faire valoir leurs désirs et leurs systèmes de croyances.

Sans témoigner d’une lutte active en ce sens, la jeune héroïne Marie-Baba fait montre de nombre de traits qui l’inscrivent dans le sillage d’une volonté de déconstruction du genre et d’accès à la singularité, dans le prolongement des travaux de Judith Butler. La toute première phrase du texte, d’ailleurs, annonce d’entrée de jeu le caractère unique de la fillette : « Marie-Baba n’est pas n’importe qui. » (1998, p. 1). Que cette information inaugure le récit est fort révélateur de l’importance qui sera accordée à la singularité du personnage. Ce fait est d’autant plus significatif que la littérature contemporaine pour la jeunesse tend plutôt à mettre de l’avant des personnages qui se fondent dans la masse, dont les caractéristiques sont communes à un grand nombre d’enfants ou d’adolescents, le tout dans un souci de favoriser l’identification du lecteur aux héros des fictions. Ici, aucune trace de cette préoccupation. Au contraire, l’unicité de l’héroïne est posée d’emblée et célébrée tout au long de l’histoire.

Mais à quoi tient cette singularité? Elle découle surtout du fait que Marie-Baba possède des traits de caractère qui défient les stéréotypes sexuels. Le patriarcat a mis de l’avant un système réservant l’action, la réflexion et l’audace au pôle masculin de la division des sexes. Échappant à toute définition figée du genre féminin, Marie-Baba possède nombre de qualités traditionnellement associées au genre masculin. La jeune aventurière a un courage et un sang-froid qui lui permettent non seulement de faire face à des adversaires sanguinaires sans jamais se laisser gagner par la peur, mais surtout d’avoir systématiquement le dessus sur ses dangereux ennemis : « Marie-Baba n’a pas très envie de se faire croquer par une fleur carnivore. […]. Tout en trottinant, elle lance de la nourriture aux plus jolies fleurs. C’est au cœur de la plus exquise qu’elle déniche le deuxième indice. […] Marie-Baba est rusée comme un vieux loup de mer. Grâce à sa canne à pêche, elle attrape le petit carton. » (1998, p. 10–11). Face à un cobra, elle ne perd pas son sang-froid et