En comparant les schémas narratifs de ces deux récits, il en ressort une divergence
manifeste. Tandis qu’Ali Baba est posé comme un sujet passif dont la quête est
surtout menée par son adjuvante Morgiane, Marie-Baba s’affiche comme un sujet
particulièrement actif, à un point tel que ses adjuvants, les rameurs, sont presque
relégués au rôle d’accessoires. À première vue, l’album de Tremblay et de Jolin ne calque
pas sa structure sur celle de son intertexte. Le contraste entre les deux structures a pour
effet de mettre en lumière l’autodétermination de la jeune héroïne ainsi que son
caractère intrépide.
L’album de Tremblay et de Jolin propose une trame narrative beaucoup moins chargée
que le conte des Mille et une nuits, alors que seulement neuf des trente et une fonctions
établies par Propp (1970) s’y retrouvent, comparativement à dix-neuf dans Ali Baba.
Cette différence s’explique par le format emprunté par Marie-Baba et les 40 rameurs.
L’album pour enfants contraint à une certaine brièveté et à une relative simplicité
narrative. Mais ce qui marque surtout, c’est ce que le schéma actantiel avait déjà
relevé : à l’encontre d’Ali Baba, Marie-Baba agit comme une héroïne qui s’implique
activement dans la quête en cours. Ces deux personnages opposés semblent correspondre
aux deux types énoncés par Propp. Ce dernier distingue les héros-quêteurs des
héros-victimes :
Les héros de contes peuvent être de deux types : 1o Si une jeune fille est
enlevée et disparaît de l’horizon de son père (et en même temps de celui
de l’auditeur), et si Ivan part à sa recherche, le héros du conte sera Ivan, et
non la jeune fille enlevée. Les héros de ce type peuvent être désignés sous
le nom de quêteurs. 2o Si une jeune fille (ou un jeune garçon) est enlevée
ou chassée et si le conte suit ses pérégrinations sans s’intéresser au sort de
ceux qui sont restés, le héros du conte sera la jeune fille (ou le jeune garçon)
enlevée ou bannie. Dans ces contes, il n’y a pas de chercheur. Les héros de
ce type peuvent être désignés sous le nom de héros-victimes. (Propp, 1970,
p. 61)
Là réside peut-être la différence fondamentale entre Ali Baba et Marie-Baba : le
premier serait un héros-victime, subissant l’intrigue, alors que la seconde serait un
héros-quêteur, agissant au profit de sa quête.
1.3 Les fonctions de l’intertextualité
Dans sa Poétique du roman, Jouve a relevé sept fonctions que peut assumer
l’intertextualité dans un texte (référentielle, éthique, argumentative, herméneutique,
critique, ludique et métadiscursive). Maintenant que nous avons mis au jour la structure
du texte source et du texte cible, voyons quelles sont les fonctions de l’intertextualité à
l’œuvre dans Marie-Baba et les 40 rameurs.
Exerçant une fonction herméneutique, l’intertexte sert principalement à enrichir la
diégèse de Marie-Baba et les 40 voleurs. Le tout se fait surtout par la récupération d’un
motif d’une grande importance pour l’album : le trésor. Le moteur même de l’intrigue
du conte Ali Baba et les quarante voleurs est l’existence d’un immense trésor dans une
caverne secrète. Le trésor est également le moteur de l’intrigue de l’album de
Tremblay et Jolin, si l’on songe que toute l’histoire est centrée sur une course au
trésor. L’intertexte et le motif du trésor permettent également de