trouver sa place dans la société.
C’est d’ailleurs sur une insertion que s’achève le cycle, insertion, comme le veulent les
codes de l’époque, par le travail et le mariage. Il semble qu’il n’en va plus de même dans
les romans des années 90 au Québec. Peut-on encore parler d’intégration dans la
société ?
Ce que dit Anne Scott MacLeod pour le roman américain semble valoir pour le
roman québécois : « La voie tracée par le roman américain pour adolescents
va de l’extériorisation à l’intériorisation, des relations du jeune adulte à la
communauté jusqu’à l’accent exclusif porté sur les sentiments intérieurs de
l’adolescent »26
SCOTT MACLEOD, A. (1997) « The Journey Inward : Adolescent Literature in America,
1945–1995 », dans Reflections of Change : Children’s Literature since 1945. Edited by S. L. Beckett,
Westport, Connecticut – London, Greenwood Press, p. 125.
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et « Le défi pour les adolescents dans ces livres a moins à voir avec le désir de trouver
sa place dans la société qu’avec le fait d’accéder à un niveau de confort émotionnel
tolérable »
27 .
Le roman québécois des années 90 destiné aux adolescents atil consacré le divorce entre
le moi et le monde ?
En ce sens, les albums d’Anfousse sont bien une œuvre majeure dans la
représentation de l’adolescence des années 80–90. Ginette Anfousse a composé
deux albums (Fabien I : un loup pour Rose, Fabien II : une nuit au pays des
malices)28
ANFOUSSE, G. (1982) Fabien 1, un loup pour Rose, Ottawa, Leméac ; Fabien 2, une nuit au
pays des malices, Ottawa, Leméac.
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qui mettent en scène un adolescent qui s’est réfugié au sommet d’une montagne, à
l’écart de la civilisation. La montagne est tout à la fois une représentation du « Home »
et une représentation du « moi ». Il y a dans ces albums une structuration du monde
qui favorise une structuration du moi, essentiellement à travers la dialectique
du dedans et du dehors. Dans le premier volume, le jeune Fabien quitte son
« Home » pour parcourir le monde, mais le monde est profondément mauvais et le
héros regagne le « Home » qu’il s’est construit, un « Home » mythique qui
évoque un paradis biblique, et, derrière cette image du paradis, une enfance
d’avant la chute dans l’âge adulte. Le pessimisme de cette vision du monde qui
consacre ainsi l’opposition du dedans et du dehors, désormais inconciliables, doit-il
s’interpréter comme une invitation au désengagement ? Dans le second album, c’est
le « Home » qui est menacé, assailli par des créatures d’au-delà des étoiles,
extravagants personnages du pays des malices. Mais ces agresseurs ne sont-ils pas
des créatures oniriques qui prennent naissance au centre même des rêves, de
l’inconscient ? Le danger pour le « Home » vient cette fois des profondeurs du
moi. Il est donc impossible de se construire un refuge imperméable. Les deux
albums illustrent sans doute les angoisses de l’adolescence, mais on ne peut
que s’interroger sur l’attitude du héros qui décide de se calfeutrer dans son
univers.
L’ici et l’ailleurs semblaient organiser le monde de telle manière qu’il paraissait aisé de
savoir de quel côté se trouvaient le danger et l’aventure d’une part, la sécurité et la
routine d’autre part. Mais si la menace est au cœur même du moi, où situer le
« Home », où situer l’ailleurs ? De quel côté ranger le moi dans sa quête ou dans
l’affirmation d’une identité ?