de l’histoire permet la
« re-connaissance littéraire » de l’espace. Un tel type de connaissance résulte, selon
Ronald Shusterman, du « mariage d’un savoir déjà acquis avec une connaissance de
soi » (Lecercle et Shusterman, 2002, p. 154). Encore là, la présence du sujet est mise à
contribution. Cela dit, au contraire de ce que plusieurs estiment théoriquement
recevable, Shusterman dénie aux textes littéraires le statut d’instrument de
cognition, de moyen d’accéder à la connaissance, rôle qu’il réserve en propre à la
science.
Dans le roman La boîte à bonheur de Charlotte Gingras, le moment où Clara consulte
le plan de la ville coïncide avec la ligne de tension accessibilité/littérarité. Dans cette
perspective, le lieu emblématique que constitue pour elle le piano sert de clé de
voûte pour la lecture de l’espace cartographié dans le roman. Chacune des
parties de cet espace construit en œuvre fournit une illustration du principe
d’économie qui régit la configuration spatiale de la typologie urbaine romanesque
(qui ne correspond à celle d’aucune ville connue et que l’on doit à la création
originale de l’auteure). Cette configuration renvoie à une conception particulière de
l’espace de la ville redevable à une connaissance topographique du local et à
l’expérience subjective de l’héroïne qui fait la découverte de zones qu’elle n’a jamais
explorées jusque-là. L’altérité de la ville est perçue à l’aune d’une plus ou moins
grande correspondance avec le projet du personnage qui cherche à ramener, par
tous les moyens, à sa famille, l’espace unique, le paradis perdu de la boîte
à bonheur, ce piano qui est une promesse de retrouvailles avec sa mère. Au
terme des pérégrinations de la jeune fille, c’est finalement dans le quartier
voisin que son aventure trouvera sa clôture. En se rapprochant ainsi de son
point de départ, Clara boucle un itinéraire qui l’aura menée du familier, à
l’inconnu, puis au presque familier, transformant au fil de son parcours l’altérité en
ce que Shusterman appelle une « expérience identitaire », une expérience
reconnaissable qui « universalise l’altérité initiale » (Lecercle et Shusterman, 2002,
p. 115).
2.3 Littérarité/intentionnalité (L/I)
Pour conclure mon propre trajet, je traiterai brièvement de la ligne de tension
littérarité/intentionnalité qui signale la fin du circuit complet de l’architectonique de
l’espace romanesque. Point culminant de l’élaboration de cet espace, la tension L/I
coïncide avec l’espace symbolique engendré par l’interaction entre l’espace représenté
et la configuration spatiale singulière de l’espace romanesque telle qu’elle s’actualise par
la cartographie spatiotemporelle de l’itinéraire du personnage. La prise en compte de
tous les « signes » spatiaux du roman – qui pourraient également comprendre la
métaphore spatiale, celle que Genette appelle « l’espace-figure » – permet d’éclairer les
sens seconds de l’histoire. La fonction sémiosique est donc, dans ce cas, mise à
contribution.
Dans le roman de Charlotte Gingras, Clara explore tous les quartiers de la ville avant
de découvrir que l’espace du bonheur – celui du piano – se trouve, en fait, dans une
maison tenue par des religieuses, sise dans le quartier voisin du sien. Exprimant sans le
formuler explicitement le fait qu’il est parfois illusoire de chercher au loin le bonheur,
cette proximité n’est pas innocente. Qui plus est, ce quartier où se trouve le piano – celui
des artistes – entretient un lien symbolique avec le double idéalisé de la mère,
ex-chanteuse, dont l’absence psychologique est manifestée dans