aux allures de conte,
Le monsieur qui se prenait pour l’hiver, se terminait déjà par une fête « pour célébrer
le mariage des saisons » (Trudel 1995a, p. 43). La fête a lieu dans les lieux
semi-publics, comme la résidence pour personnes âgées où l’on fête une centenaire (
Les
dimanches de Julie) ou le salon de coiffure du grand-père (
Le voleur du poisson
d’or). Les fêtes de Trudel n’entrent pas dans la catégorie « fêtes d’enfants »
fréquentes en littérature jeunesse. Ce sont au contraire, de façon très explicite, des
rencontres intergénérationnelles et interethniques. Du point de vue du jeune
narrateur, la réussite des fêtes semble se mesurer au nombre de personnes joyeuses
réunies : « Tout le monde riait et parlait en même temps. C’était une fête
extraordinaire » (Trudel 1998a, p. 59), « Ce soir-là, les voisins donnèrent un petit
bal costumé chez eux […] On dansait chez les voisins, on chantait, on riait »
(Trudel 1999a, p. 15), ou encore : « Le samedi suivant, mes parents ont organisé
une fête dans le jardin. Des dizaines d’invités sont venus. Le maire, le curé,
le chef de police. Ma tante Lili et mon oncle Dédé, mes amis, la maîtresse
d’école, le docteur Beaulieu. » (Trudel 2001d, p. 59) La deuxième citation met
en lumière un autre aspect de la fête chez Trudel : l’ouverture de l’espace
privé. Cette ouverture est également illustrée dans
Le roi qui venait du bout
du monde (1997) où les parents invitent voisins et amis pour fêter le jeune
Ukrainien.
Un roman un peu isolé dans la production juvénile de Trudel, L’ange de Monsieur
Chose (1999), illustre le refus de la vie communautaire et démontre a contrario le besoin
de l’insertion sociale. Monsieur Chose déteste ses semblables et se rend infiniment
désagréable à tous, jusqu’à la nuit où il est sauvé d’un incendie par un homme déguisé
en ange. Celui-ci participait en effet à un bal costumé ! Dès lors, monsieur Chose se
convertit, croyant avoir rencontré son ange gardien. Mais au lieu de s’intégrer
à la vie du quartier, il décide de vivre en ermite vagabond, donnant le peu
qu’il possède aux autres. C’est juste à la fin, avant de s’endormir dans la neige
– ou peut-être d’y mourir – qu’il comprend qu’il s’est trompé : « Lui, qui
avait toujours détesté les fêtes, comprenait maintenant la beauté de ces rires
lointains. » (Trudel 1999a, p. 61) Allant d’un extrême à l’autre, le personnage
qui ne donnait rien, pas même un sourire, a décidé de tout donner, mais en
oubliant de recevoir. Ainsi la fête est-elle l’un des lieux textuels où se concentre
la représentation de l’espace social, espace partagé, espace d’échange, chez
Trudel.
Conclusion
Tous les espaces signifiants dans les romans pour jeunes lecteurs de Trudel tendent à
devenir semi-privés ou semi-publics. Ces fictions donnent à lire, à différents niveaux, un
dépassement des frontières. L’instituteur invite les écoliers chez lui, les parents ouvrent
leurs portes aux voisins et aux amis. Dans L’été de mes dix ans, ce sont les animaux qui
s’échappent du zoo et vivent dans le village pendant quelques jours. D’autres
aspects de la perception de l’espace chez cet auteur seraient à approfondir. Nous
observons que le monde vient souvent à l’enfant – sous forme de personnages
et d’objet venus d’ailleurs –, mais que ce mouvement centripète préfigure un
mouvement centrifuge. Bientôt le personnage-enfant ira vers ce monde sur lequel il
s’ouvre. Ce schéma, particulièrement perceptible dans Le royaume de Bruno,
se lit aussi dans Le roi qui venait du bout du monde et dans les plus